Hugo Pratt sur l’éducation :
« Mon institutrice s’appelait Fontana. Elle s’était rendu compte que j’aimais le dessin, et à la place de la dictée elle me demandait de dessiner : je transcrivais en dessins l’histoire de la dictée. J’ai ainsi rempli plusieurs cahiers, qu’elle notait comme ceux des autres élèves, et portait dans le bureau du directeur, qui y apposait son tampon. Dans la classe supérieure, le maître, qui s’appelait Bezzegato, m’a dit de continuer à faire des dessins, pas des dictées. Il me donnait des thèmes à traiter. Un de mes camarades, Diana, était lui aussi doué pour le dessin, mais il est devenu curé.
A cette école primaire, quand j’avais sept ans, il m’est arrivé un incident étrange. A la suite d’une insolation, j’ai perdu la mémoire. Je suis resté pendant six mois en état de choc, ne me souvenant plus que d’une grande lumière, puis je suis brusquement redevenu normal. Pendant toute cette période, on m’avait mis dans une section spéciale de mon école, réservée aux élèves déficients mentaux. Nous étions huit, et devions porter un uniforme noir, alors que les élèves normaux étaient habillés en blanc. Quand je me suis comme réveillé, on m’a redonné l’uniforme blanc, et les élèves considérés comme débiles m’ont demandé: « Mais qu’est-ce que tu fais là, habillé en blanc comme tous ces cons? » J’ai finalement préféré rester avec ces sept élèves, j’avais plus d’amitié pour eux que pour les autres. Je me demande si certains ne faisaient pas semblant d’être déficients mentaux, car on était moins exigeants pour les élèves de cette section ».
Hugo PRATT « Le désir d’être inutile Souvenirs er réflexions »
Entretiens avec D. Petit faux Robert Laffont
« Mon cher petit Pratt,
Je suis triste que tu sois parti, mais heureux pour toi; car tu as jeté l’amarre comme je l’ai fait de nombreuses fois dans ma vie d’homme libre, et tu navigues au loin, au large et au fond de toi-même.
Bon vent mon petit matelot.
Tu as appris à dessiner tout seul comme un grand au lieu d’aligner les chiffres et de faire des sommes. Donc, oublie ta règle et ton compas dans le triste tiroir à droite de ton père, et pour me faire plaisir, dessine-moi de belles fesses, de jolis seins, un beau sourire, roule-le bien dans une bouteille de bon vin, vidée en pensant à moi, et jette-la à la mer, le soir, quand le soleil se couche dans ta nuit Éthiopienne.
Je regarderai par ma fenêtre, car je ne navigue plus. Je sentirai la brise marine et l’odeur rance arriver d’Afrique. J’irai vers elle, habillé dans mon beau caban marin, et je recevrai avec élégance et courtoisie cette belle Africaine qui débarquera sur ma plage. Nous nous assiérons sur le sable blanc, la main dans la main, et nous attendrons la nuit en écoutant les mouettes argentées, tournant autour des pécheurs qui rentrent au bon port.
Ne m’écris plus, mon petit Hugo car je suis devenu aveugle, et les années de mer m’ont usé les reins.
Je te parle de mon lit et j’attends ton dessin.
D’ailleurs, je ne peux ni écrire ni poster cette lettre. »
Ton oncle Anarchiste qui t’aime, Ruggiero, qui fut Marin.
Lettre rêvé par Leslie John Vaizey, 24 septembre 2011
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